Page:Sand - La Filleule.djvu/267

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j’ai su que tu existais, je n’ai jamais reperdu tes traces, ni celles d’aucun des êtres auxquels ta vie était liée.

— Raconte-moi donc ce jour-là.

— C’était un jour que ton parrain Stéphen m’avait dit que tu étais morte. Ce jour-là, ce méchant homme…

— Lui, un méchant homme, Stéphen ! Tu le hais donc, à présent ?

— Je l’ai toujours haï depuis ce jour-là ! Écoute : il fit arrêter mon pauvre père, il le fit jeter en prison, où il est mort. Le gitano résiste aux supplices, au fouet, à la faim, aux rigueurs des plus affreux climats, aux nuits sans abri sur la terre durcie par la gelée, lui, le fils du soleil ! Mais la captivité le tue. C’est Stéphen qui a tué mon père !

— Dieu vivant ! pourquoi cette cruauté ?

— C’était par amitié pour toi, parce que mon père voulait te tuer.

— Moi ? Mais c’est affreux, tout ce que tu me racontes aujourd’hui, mon pauvre frère !

— Le moment est venu de tout te dire. Mon père n’était pas le tien, ne le plains pas ! il était cruel ; il voulait me rendre voleur ; moi, j’étais trop intelligent pour vivre si bas. Je résistais. Il me frappait jusqu’au sang !

— Ah ! les gitanos ! c’est horrible ! s’écria Morenita avec un accent de terreur et de détresse.

— Les gitanos aiment pourtant leurs petits avec passion, reprit Rosario ; mais il faut que leurs enfants se soumettent à leurs idées, et quand l’un de nous veut agir autrement et traiter à sa guise avec le monde des étrangers, son père et sa mère le maudissent, l’abandonnent ou le font mourir. Mon père avait été si dur pour moi, que je n’ai pas pu le regretter ; mais c’était mon père, vois-tu, et je n’en dois pas moins haïr son assassin. En le voyant saisir et emmener par la police,