Page:Sand - La Filleule.djvu/266

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La villa génoise était ravissante. Dans cet admirable pays, Morenita eut une première journée de calme, suivie d’un lendemain d’enivrement qui ne lui permit plus de s’ennuyer.

Comme elle était le soir à sa fenêtre, rêvant aux étoiles et entendant le bruit majestueux de la mer que lui apportait la brise au milieu d’un silence énervant, la voix magique et la guitare sauvage de la bohème résonnèrent sous sa croisée. Cette croisée, au rez-de-chaussée, s’ouvrait sur les jardins. Rosario, d’un bond souple et rigoureux comme celui du léopard, s’élança dans la chambre et tomba à ses pieds.

— N’aie pas peur, lui dit-il en embrassant ses bras nus avec transport. La duchesse ne peut nous entendre. Les valets sont absents ou gagnés. D’ailleurs, quand un gitano se laissera surprendre par d’autres gens que ceux de sa race, il fera beau ! Me voici enfin, Morenita de mon âme ! Ne te l’avais-je pas promis, que tu viendrais dans un beau pays où tu me retrouverais ? Nous sommes libres de nous voir pendant trois mois. La duchesse a un amant, elle ne s’avisera pas…

— Quoi ! s’écria Morenita, cette femme trompe mon père ?

— Ton père a bien trompé notre mère !

— Oh ! mon Dieu ! nous sommes les enfants du mal et du mensonge !

— Qu’importe ? il y a une chose vraie, c’est que nous nous aimons, nous deux.

— Je n’aime plus que toi, mon frère, dit Morenita en faisant un effort de volonté pour arracher Stéphen de son âme avec cette parole. Mais dis-moi donc comment tu sais tout ce que tu m’apprends et comment tu savais que nous viendrions ici.

— J’ai voulu le savoir, voilà tout. Comment peux-tu me faire une pareille question, toi, gitanilla ? Ceux qui n’ont pas la force ont la ruse : c’est le bienfait des cieux qui dédommage notre pauvre famille errante de toutes les misères. Depuis le jour où