Page:Sand - La Filleule.djvu/281

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J’ai du talent, j’ai du génie, et je suis aimé de Morenita… Mais cette maudite preuve qui n’arrive pas !

Le lendemain matin, Algénib alla sur le port, comme il y allait tous les jours depuis une quinzaine, espérant voir débarquer un petit intrigant qu’il avait connu affamé et faisant tous les métiers à Séville. Il lui avait écrit de chercher son acte de baptême dans deux ou trois localités où il supposait qu’il avait dû naître, car il ne le savait pas précisément. Ce personnage devait le lui rapporter lui-même, et, en récompense, Algénib devait lui payer son voyage et lui donner de quoi vivre pendant huit jours à Gênes, où il espérait s’utiliser. Telles étaient leurs conventions. Mais l’aventurier subalterne n’arriva pas, et, le jour même, Algénib reçut par la poste une lettre de lui qui lui apprenait que la paroisse d’Andalousie où il avait pu naître était introuvable. Algénib commenta le post-scriptum de la lettre. Son ami lui annonçait qu’il ne désirait plus passer en Italie. Pour le moment, il avait trouvé moyen de s’établir chirurgien et maquignon dans les environs de Séville. Algénib comprit que son ami ne s’était pas donné la peine de chercher son acte, et, perdant l’espérance de se le procurer, il résolut de brusquer le dénoûment de sa passion.

Il retarda volontairement sa visite à la villa, voulant préparer l’émotion de l’entrevue par l’inquiétude et l’impatience de Morenita. Il arriva vers onze heures, pâle et tremblant. Il était positivement fort ému ; car il avait beau être fourbe, il était éperdument amoureux, et n’abordait pas sans effroi l’orage qu’il allait soulever.

— Oh ! mon Dieu, que t’est-il arrivé ? s’écria Morenita en le pressant dans ses bras.

Elle croyait à un accident, elle l’examinait, craignant qu’il ne fût blessé.

— Laisse-moi, laisse-moi, dit-il en la repoussant ; ne me tue pas… Morenita, je ne peux plus vous aimer, je ne peux