Page:Sand - La Filleule.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus recevoir vos douces caresses. Il faut que je vous quitte, je viens vous dire adieu pour toujours.

Il tomba suffoqué sur le sofa, et, comme elle restait stupéfaite et terrifiée devant lui :

— Oui, s’écria-t-il avec angoisse, je serais un lâche si je vous trompais seulement un jour, seulement une heure. Vous me mépriseriez. Il faut tout vous dire !… Hélas ! mon Dieu ! en aurai-je le courage ? Oui, je l’aurai. Morenita, on m’avait trompé, je ne suis pas le fils de ta mère, je ne suis pas ton frère, je ne te suis rien !

Morenita demeura pâle et interdite ; un nuage de sombre défiance passa sur son front ; car elle avait, comme tous les caractères extrêmes, ces fréquentes alternatives d’aveugle abandon et de sauvage fierté.

— Vous n’êtes pas mon frère ? dit-elle. Eh bien, il y a des moments où j’en ai douté. Et vous ! vous n’avez pas eu de ces moments-là ?

— J’aurais dû les avoir, car je me suis senti à chaque instant troublé par un excès d’admiration et de jalousie qui eût dû m’éclairer sur mes propres sentiments ! J’étais forcé de me combattre moi-même, de me rappeler ce que nous étions l’un à l’autre. Oh ! mon Dieu, pourquoi mon père m’a-t-il trompé ainsi ?

— Oui, au fait, dit Morenita, dont le regard profond lui faisait subir un rude interrogatoire, dans quel but vous avait-il trompé ? Vous seriez embarrassé de me le dire ! S’il voulait me tuer et vous contraindre à me retrouver pour me livrer à sa vengeance, il avait tout intérêt à vous faire savoir que vous ne me deviez ni protection ni pitié !

Algénib ne s’était pas attendu à tant de sang-froid et de réflexion.

— Elle se méfie, pensa-t-il ; elle ne m’aime pas, je suis perdu !