Page:Sand - La Filleule.djvu/285

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sans ressource, ce rejeton d’une race dévouée depuis quatre siècles à la persécution et aux supplices, semblait attendre la mort avec le fatalisme oriental. Il y avait quelque chose d’effrayant dans cette malédiction muette, dans cette protestation faite à Dieu seul de la faiblesse contre la force.

Le duc résista à la tentation de le frapper.

— Va-t’en, ver ! lui dit-il en espagnol ; mais souviens-toi que, si je te retrouve jamais sous mes pieds, je t’écrase !

Et il le lança vers la fenêtre, par où le gitano prit sa volée comme un papillon de nuit et disparut sans bruit dans les ténèbres.

Morenita, muette de terreur, et voyant son père irrité pour la première fois, n’essaya pas de l’attendrir. Au reste, il ne lui en donna pas le temps ; car il sortit après l’avoir enfermée à double tour, pour aller explorer et fermer le jardin. Il alla ensuite chercher un des domestiques qu’il avait ramenés d’Espagne et sur lequel il pouvait compter. Il lui mit un fusil dans les mains et lui ordonna de faire bonne garde contre les voleurs du dehors ou contre quiconque bougerait de la maison. Puis il donna d’autres ordres et rentra.

La duchesse avait vu et entendu arriver son mari. Attentive et prudente, elle devina ce qui se passait, et s’arrangeant tout de suite le rôle qu’elle voulait garder encore, elle retira les verrous de sa chambre, se recoucha et feignit d’être plongée dans le plus profond sommeil.

Le duc approcha avec précaution, observa en silence le paisible alibi de sa femme. Il ne pouvait l’accuser que d’avoir manqué de surveillance. Mais de quoi droit lui aurait-il imposé ce devoir ?

Il la réveilla : elle feignit la joie. Il lui raconta ce qu’il venait de surprendre : elle joua la surprise. Il lui exprima son mécontentement contre l’imprudence de Morenita : elle fit semblant d’intercéder ; elle ne paraissait rien comprendre à