Page:Sand - La Filleule.djvu/287

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voir pensé, en vous trouvant aux prises avec ce misérable, tout autre l’eût pensé à ma place. Je venais plein de joie et de confiance, pour surprendre la duchesse et vous par mon retour, et j’étais loin de m’attendre à vous trouver dans un pareil danger. J’ai rougi pour vous de voir que vous vous y étiez volontairement exposée…

— Ne rougissez plus, monsieur le duc, dit Morenita avec amertume, puisque vous savez que, jusqu’à ce jour, j’ai pris Algénib, fils d’Algol, pour mon frère.

— Fils d’Algol ! s’écria le duc soudainement troublé.

— Oui, dit Morenita d’un ton de légèreté féroce, le mari de la belle Pilar, que vous avez connue, à ce qu’il prétend, et dont il disait d’abord être le fils.

Le duc, bouleversé, se leva.

— C’est assez, Morenita, dit-il ; une pareille conversation entre vous et moi ne peut aller plus loin. Je veux ignorer ce qu’on a pu vous dire ; j’aurais souhaité vous voir moins empressée de le croire. Vous pourriez penser, aujourd’hui du moins, que le lâche capable de vous tromper en se disant votre frère vous a menti sur tout le reste. Mais vous me paraissez disposée à écouter les plus fâcheuses histoires et à laisser approcher jusqu’à vous les plus étranges bandits ! Cette tendance au romanesque tient d’assez près à la folie, et j’y dois prendre garde. Je n’ai rien à vous expliquer sur les mystères qui obsèdent votre imagination. Sachez seulement que vous n’avez pas le droit de m’interroger, et que j’ai celui de surveiller et de diriger votre conduite.

Deux heures après, le duc, la duchesse et Morenita prenaient en poste la route du Turin. Le duc était profondément blessé contre sa fille, assez embarrassé devant sa femme, et en proie à une irritation intérieure qui, chez lui, remplaçait rarement, mais radicalement, la douceur et la faiblesse habituelles.