Page:Sand - La Filleule.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La duchesse était calme, bonne, généreuse envers Morenita, qu’elle s’efforçait de réconcilier avec le duc.

Morenita était inquiète ; mais, trop fière pour s’humilier, elle ne faisait aucune question.

Les ordres que le duc avait donnés n’avaient amené aucun résultat. Les gens chargés de suivre et de retrouver Algénib sur la route de Gênes ne l’avaient pas aperçu.

Deux jours après, le duc conduisait Morenita en visite chez une parente qui était supérieure d’un des plus riches couvents de Turin. Il la laissa seule avec elle pour quelques instants, prétextant une autre visite avec la duchesse, qui sortit du couvent, ayant l’air de pleurer. Ils ne revinrent pas. Morenita était cloîtrée.

De tous les mauvais partis que le duc avait à prendre, celui-là était le pire. Peut-être le meilleur eût-il été de laisser Morenita courir à sa destinée. Avec certaines natures, les obstacles irritent la résistance et changent la velléité en résolution, la volonté en désespoir.

La pauvre gitanilla, en entendant les grilles et les verrous se refermer sur elle, frémit de la tête aux pieds. Elle se rappela ces mots d’Algénib, à propos de son père : « Les gitanos supportent la faim, le froid, toutes les misères ; mais la captivité les tue ! »

— Oui, oui, se dit-elle, voilà ce qu’on fait de nous ! Algénib avait raison. On séduit nos mères, et on les abandonne ; on ramasse leurs enfants, on leur jette du pain, et on les met à l’attache. Tant pis pour ceux qui meurent !

De ce moment, le sang de la race proscrite et sacrifiée se ranima en elle. Elle sentit qu’elle haïssait son père. Elle maudit le mouvement d’orgueil qu’elle avait eu en se croyant affranchie de ses liens avec la bohème, au moment où le duc avait terrassé Algénib sous ses pieds.

— Oh ! qu’il revienne, ce malheureux paria ! s’écria-t-elle