Page:Sand - La Filleule.djvu/293

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dont vous êtes si inquiets, je vais vous dire comment je l’ai retrouvée et ce qui s’est passé entre nous.

» Aussitôt qu’elle a paru à la grille du parloir, j’ai été frappé du changement qui s’est fait en elle depuis huit mois que je ne l’avais vue. Elle n’a pas beaucoup grandi ; elle n’est ni plus grasse ni plus colorée, mais sa beauté diabolique a pris un caractère de sérieux et de fermeté qui montre l’ange à travers le démon beaucoup plus que par le passé. Elle m’a accueilli avec beaucoup de grâce et même d’enjouement ; elle a plus d’esprit que jamais.

» Pressée par moi de dire franchement si elle s’ennuyait au couvent, elle a répondu avec une hypocrisie de fierté vraiment admirable qu’elle s’y trouvait fort bien et ne désirait pas en sortir.

» J’ai été dupe de son assurance, et j’ai commencé à lui faire un peu la cour, ne craignant plus d’être considéré comme un pis-aller entre la chaîne du mariage et celle du cloître. Au cas qu’elle m’eût écouté, je vous jure bien que je n’eusse point passé outre sans vous demander votre agrément ; car le duc aura beau faire, à mes yeux, vous êtes et serez toujours les véritables parents de cette pauvre perle d’Andalousie.

» Nous étions seuls au parloir, séparés par la grille. La sœur-écoute, avertie apparemment par l’abbesse que j’avais à entretenir Morenita d’affaires de famille, s’était retirée.

» — Voyons, chère enfant, ai-je dit à votre pupille, soyez franche. Si je ne vous déplais pas, si vous avez confiance en moi, écrivez-en à mamita et demandez-lui conseil. Si c’est le contraire, souvenez-vous que je suis son ami respectueux et dévoué, le vôtre, et que ni elle, ni votre maman Marange, ni votre parrain, ni moi, ne voulons vous laisser mourir de chagrin ici. Ouvrez votre cœur altier à la confiance, et comptez sur nous. J’ose affirmer que mamita obtiendrait du duc de vous reprendre avec elle.