Page:Sand - La Filleule.djvu/306

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de la chaussure qui cachait son petit pied. La figure et les mains restaient voilées et enveloppées avec soin, mais de quel lambeau de soie craquée et rougie par l’usure !

Sans doute Morenita s’était déguisée à dessein en pauvre fille pour n’être pas reconnue à la sortie du couvent ; mais il ne semblait pas à Clet qu’elle fût affublée de ces guenilles au moment rapide où elle lui était apparue dans le parloir et où elle lui avait parlé à visage découvert.

Une soudaine méfiance s’empara de lui. Il avança doucement la main, saisit le voile à poignée sur l’épaule de la dormeuse, et l’arracha brusquement.

Que devint-il en découvrant la plus laide et la plus malpropre gitanilla qu’il fût possible de ramasser au coin de la rue ! une vraie guenon, crépue, hérissée, noire comme l’enfer, au regard stupide, au sourire sournois, à la griffe crochue ! Petite, menue et jeune comme Morenita, bien faite d’ailleurs et assez gracieuse dans ses mouvements, comme toutes les bohémiennes, elle avait joué avec succès ce rôle évidemment préparé d’avance, et tout autre que Clet eût pu y être pris. Il eut le courage d’éclater de rire et de lui demander si elle avait bien dormi. Elle lui répondit dans un idiome incompréhensible qu’elle n’entendait pas le français.

Clet fut en ce moment un grand philosophe. Au lieu de lancer le petit monstre par la portière, il se rappela que, depuis trois heures, il avait envie de fumer. Il tira son tabac, roula gravement une cigarette et l’alluma. La gitanilla avança sa maigre patte comme pour demander l’aumône de la même jouissance. Clet, sans sourciller, lui donna du papier, du tabac et du feu.

Tout en fumant, il s’avisa d’une nouvelle mystification fort possible et plus sanglante encore de la part de Morenita, s’il ne brusquait la séparation avec la doublure qu’elle s’était procurée : il allait peut-être, au premier relais, se voir entouré d’une