Page:Sand - La Filleule.djvu/308

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effrayante. Vous avez dit cela, je crois ? Auriez-vous la bonté de vous expliquer, monsieur le duc ?

— Eh ! madame, vous me comprenez bien ! répliqua le duc hors de lui.

— Certainement ; mais notre ami M. Clet ne comprend pas, et il faut que je lui explique…

— Quoi ? qu’expliquerez-vous ? s’écria le duc en pâlissant Taisez-vous, madame ; vous êtes folle !

Clet prit son chapeau pour s’en aller.

— Restez, monsieur Clet, dit la duchesse avec autorité et en se jetant presque dans ses bras ; car j’ai à dire à monsieur le duc des choses bien graves, et si je les lui dis tête à tête, je vous jure qu’il me tuera.

Clet, effrayé, demeura incertain.

— Elle a raison, dit le duc ; je sens qu’elle va dire des choses qui me rendront fou. Restez, Clet, vous êtes homme d’honneur. Protégez madame contre moi, s’il le faut ; il faut bien que je la laisse implorer la pitié des autres !

— Écoutez et jugez ! reprit la duchesse avec une énergie extraordinaire. Il y a quinze ans que vous nous connaissez, monsieur Clet ; vous savez avec quelle passion, quelles souffrances, quelle fidélité j’ai aimé M. le duc de Florès. Vous saviez, vous, qu’il me trompait, qu’il m’avait toujours trompée ; que, dès les premiers jours de notre mariage, il m’avait fait l’injure de me préférer une vile gitana, et que, depuis, il avait eu d’autres maîtresses. Lasse de souffrir et de rougir, une fois, une seule fois dans ma vie, Dieu qui m’entend le sait bien, j’ai aimé un autre homme. Je n’ai pas cédé à sa passion, je n’ai pas manqué à mes devoirs, mais je l’ai aimé de toutes les forces de mon cœur ! C’était lord B…, que vous avez vu ici. Je puis bien le nommer à présent qu’il est mort ; on ne peut pas le tuer deux fois ! Eh bien, lord B… passe pour avoir été assassiné, il y a deux ans, dans son parc, en Angleterre. C’est la