Page:Sand - La Filleule.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne vous hais pas, répondit Algénib, vous m’êtes indifférente.

— Vous m’aimiez pourtant encore, il y a un mois, quand vous êtes revenu de Paris à Turin pour me chercher, au lieu d’aller seul en Angleterre ?

— Ah ! je vas vous dire ! répondit-il avec un sourire amer, j’avais reçu de l’argent pour vous enlever. J’aurais voulu le gagner, parce que j’aime l’argent. Mais je ne suis pas voleur, quoique gitano, et quand j’ai su que vous ne me suiviez pas de bon cœur, j’ai renoncé à l’argent et à vous. À présent, sachez que, si je vous emmenais, je n’aurais pas de quoi faire vivre longtemps une princesse comme vous. Il me faudrait recourir à la duchesse ; ce serait très-avilissant, n’est-ce pas ? Eh bien, si je vous aimais, si vous m’aimiez, je m’en moquerais bien ! Je ne serais pas vil, je serais méchant. Il y a manière de faire les choses. Je rançonnerais pour vous cette femme qui paye ses vengeances et qui serait forcée de payer notre bonheur. Mais ne pensons pas à tout cela, nous ne pourrions pas nous aimer !

— Non, ne pensons pas à rançonner nos ennemis, dit Morenita, qui comprit aussitôt la conduite de la duchesse envers elle, et qui en frémit ; songeons à les fuir, à ne jamais retomber dans leurs mains. Algénib, sauve-moi et je t’aimerai peut-être ! Ne veux-tu donc pas me mériter, toi qui m’aimais tant à la villetta ? Je n’ai pas besoin d’argent, j’ai des bijoux, ils sont à moi : c’est mon père qui me les a donnés. C’est de quoi attendre que nous soyons assez oubliés de nos persécuteurs, assez libres pour gagner notre pain nous-mêmes. Prends-moi pour ta sœur comme autrefois. Figurons-nous que nous ne nous étions pas trompés sur notre parenté. Soyons amis comme dans ce temps-là. Ç’a été le plus pur et plus doux de ma vie, rends-le-moi !

— Jamais ! dit Algénib. J’ai été avili, jeté à genoux, frappé