Page:Sand - La Filleule.djvu/316

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ne put cependant réveiller en lui le souvenir de la pauvre Pilar sans éprouver une émotion profonde. Ceux qui méprisent le plus cruellement les gitanos ne sauraient leur refuser la force et la tendresse dans les affections de famille. La voix d’Algénib fut un instant voilée, et ses yeux brûlants se remplirent de larmes.

Morenita se leva et lui prit la main :

— Vous êtes meilleur que je ne pensais, dit-elle, et je vous ai méconnu, pardonnez-le-moi.

— À la bonne heure ! reprit-il. Adieu !

— Non. Il est impossible que nous nous quittons ainsi ! s’écria Morenita. Malgré tout, nous sommes les enfants du malheur et de la persécution, et il n’est pas nécessaire d’avoir été portés dans le même sein pour nous sentir frères. Je le vois bien, je suis plus gitana qu’Espagnole, et, si je rougis de quelque chose à présent, c’est d’avoir rougi de vous. Ne soyez pas si sévère, songez à l’éducation que j’ai reçue !…

— Vous mentez, Morenita ; ni votre mamita ni même votre cher Stéphen ne vous avaient enseigné à mépriser les bohémiens. Ils ne vous en parlaient pas assez peut-être ; mais, quand l’occasion les y forçait, ils vous disaient qu’il fallait plaindre et secourir les descendants des pauvres soudras, plus soudras, plus parias encore en Europe qu’ils ne l’étaient jadis dans leur patrie. Oh ! je sais bien ce que Stéphen pensait de la cruauté de sa race, et, à présent, je lui rends justice. C’est chez votre père que vous avez appris à nous dédaigner. C’est là que votre cœur s’est corrompu. C’est peut-être ma faute, je vous ai donné de mauvais conseils, et vous en avez profité contre moi et contre vous-même. Adieu, vous dis-je ! vous êtes vaine et menteuse pour deux gitanillas ; car vous l’êtes comme une Espagnole.

— Je ne veux pas que vous me haïssiez ! s’écria Morenita.