Page:Sand - La Filleule.djvu/329

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Il n’en fut pas de même d’Algénib. Il fut longtemps ombrageux et sournoisement attentif à mes manières avec sa fiancée. Je sentais souvent, au milieu de ses retours vers moi, un accès de haine plus fort peut-être que sa volonté. Je lui pardonnais, je feignais de ne m’apercevoir de rien.

Dans les premiers temps, Morenita fut ravissante de grâces, de tendresses, d’adorations pour sa mamita. Je fus vraiment surpris de voir tout ce que ce cœur inégal, facile à troubler, renfermait d’ardeur dans la reconnaissance. Elle avait trouvé tout simple d’être gâtée et choyée dans ce qu’elle appelait naïvement son temps d’innocence, c’est-à-dire avant sa phase d’ingratitude. Elle ne se reprochait que cela dans sa vie. La vanité, la coquetterie, la tyrannie, la duplicité féminine, l’indépendance sans frein, tous les défauts qui avaient fait explosion durant son absence, ne comptaient pas beaucoup à ses yeux. Ils lui étaient trop naturels pour qu’elle les condamnât sévèrement en elle-même. Mais le crime d’avoir boudé et affligé sa mère, elle ne comprenait déjà plus comment elle avait pu le commettre, et, à chaque souvenir de ce temps-là, on la voyait rougir et pâlir, interroger, de son œil d’animal sauvage, l’œil si divinement humain d’Anicée, saisir à la dérobée sa main ou les plis de sa robe, les embrasser avec ardeur, et quelquefois, avec une sorte de désespoir enfantin et sauvage, enfoncer ses ongles ou ses dents dans sa propre chair comme pour se punir de sa folie. Le repentir était dans cette âme altière une sorte de soulagement effréné aux tortures de son propre orgueil. Devant les reproches d’Anicée, elle fût entrée en révolte, elle fût redevenue impie. Devant son inaltérable mansuétude, elle était vaincue et trouvait une secrète joie à l’être.

Nous ne pouvions voir aussi facilement ce qui se passait dans l’âme d’Algénib. Une cuirasse impénétrable cachait, à l’habitude, ses émotions intimes, au point que nous pensions