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préface

toujours bon ; mais il est des temps où il se contente d’exister à l’état d’abstraction, sauf à se manifester plus tard quand ses adeptes en seront dignes. Son souffle ranimera alors les lyres longtemps muettes ; mais pourra-t-il faire vibrer celles qui se seront brisées dans la tempête ? L’art est aujourd’hui en travail de décomposition pour une éclosion nouvelle. Il est comme toutes les choses humaines, en temps de révolution, comme les plantes qui meurent en hiver pour renaître au printemps. Mais le mauvais temps fait périr beaucoup de germes. Qu’importent dans la nature quelques fleurs ou quelques fruits de moins ? Qu’importent dans l’humanité quelques voix éteintes, quelques cœurs glacés par la douleur ou par la mort ? Non, l’art ne saurait me consoler de ce que souffrent aujourd’hui sur la terre la justice et la vérité. L’art vivra bien sans nous. Superbe et immortel comme la poésie, comme la nature, il sourira toujours sur nos ruines. Nous qui traversons ces jours néfastes, avant d’être artistes, tâchons d’être hommes : nous avons bien autre chose à déplorer que le silence des muses.