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pensée, ni dans le tableau magique. Ma raison ne supporterait pas de pareils spectacles, et j’ai besoin de conserver toute ma lucidité pour exercer ma puissance. Mais les lois de la science sont infaillibles, et il faut bien que, sans en avoir conscience peut-être, vous ayez pensé à un autre qu’au Porpora, puisque ce n’est pas lui que vous avez vu. »

— Voilà bien les belles paroles de cette espèce de fou ! dit la princesse en haussant les épaules. Chacun d’eux a sa manière de procéder ; mais tous, au moyen d’un certain raisonnement captieux qu’on pourrait appeler la logique de la démence, s’arrangent pour ne jamais rester court et pour embrouiller par de grands mots les idées d’autrui.

— Les miennes l’étaient à coup sûr, reprit Consuelo, et je n’avais plus la faculté d’analyser. Cette apparition d’Albert, vraie ou fausse, me fit sentir plus vivement la douleur de l’avoir perdu à jamais, et je fondis en larmes. « Consuelo ! me dit le magicien d’un ton solennel, en m’offrant la main pour sortir (et vous pensez bien que mon nom véritable, inconnu ici à tout le monde, fut une nouvelle surprise pour moi, en passant par sa bouche), vous avez de grandes fautes à réparer, et j’espère que vous ne négligerez rien pour reconquérir la paix de votre conscience. » Je n’eus pas la force de répondre. J’essayai en vain de cacher mes pleurs à mes camarades, qui m’attendaient avec impatience dans le salon voisin. J’étais plus impatiente encore de me retirer ; et dès que je fus seule, après avoir donné un libre cours à ma douleur, je passai la nuit à me perdre en réflexions et en commentaires sur les scènes de cette fatale soirée. Plus je cherchais à la comprendre, plus je m’égarais dans un dédale d’incertitudes ; et je dois avouer que mes suppositions furent souvent plus folles et plus maladives que