Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144

nous, Dieu merci, et le petit baron vient passer une heure ou deux avec sa petite amie. »

Cet agréable début, au lieu de mettre Consuelo à son aise, la troubla étrangement. Depuis qu’elle conspirait contre sa volonté en recevant les confidences de la princesse Amélie, elle ne pouvait plus braver avec une impassible franchise le royal inquisiteur. Il eût fallu désormais le ménager, le flatter peut-être, détourner ses soupçons par d’adroites agaceries. Consuelo sentait que ce rôle ne lui convenait pas, qu’elle le jouerait mal, surtout s’il était vrai que Frédéric eût du goût pour elle, comme on disait à la cour, où l’on eût cru rabaisser la majesté royale en se servant du mot d’amour à propos d’une comédienne. Inquiète et troublée, Consuelo remercia gauchement le roi de l’excès de ses bontés, et tout aussitôt la physionomie du roi changea, et devint aussi morose qu’elle s’était annoncée radieuse.

« Qu’est-ce ? dit-il brusquement en fronçant le sourcil. Avez-vous de l’humeur ? êtes-vous malade ? pourquoi m’appelez-vous sire ? Ma visite vous dérange de quelque amourette ?

— Non, Sire, répondit la jeune fille en reprenant la sérénité de la franchise. Je n’ai ni amourette ni amour.

— À la bonne heure ! Quand cela serait, après tout, que n’importe ? mais j’exigerais que vous m’en fissiez l’aveu.

— L’aveu ? M. le capitaine veut dire la confidence, sans doute ?

— Expliquez la distinction.

— Monsieur le capitaine la comprend de reste.

— Comme vous voudrez ; mais distinguer n’est pas répondre. Si vous étiez amoureuse, je voudrais le savoir.

— Je ne comprends pas pourquoi.

— Vous ne le comprenez pas du tout ? regardez-moi donc en face. Vous avez le regard bien vague aujourd’hui !