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— Une femme, Sire, une femme !…

— Eh bien, quand vous le répéterez encore une fois ! Vous aimez les femmes, vous ! vous avez eu le malheur de vivre sous l’empire d’un cotillon, et vous ne savez pas qu’il faut les traiter comme des soldats, comme des esclaves, quand elles s’ingèrent dans les affaires sérieuses.

— Mais Votre Majesté ne peut croire qu’il y ait rien de sérieux dans toute cette affaire ? Ce sont des calmants et des douches qu’il faudrait employer avec les fabricants de miracles et adeptes du grand œuvre.

— Vous ne savez de quoi vous parlez, monsieur de Voltaire ! Si je vous disais, moi, que ce pauvre La Mettrie a été empoisonné !

— Comme le sera quiconque mangera plus que son estomac ne peut contenir et digérer. Une indigestion est un empoisonnement.

— Je vous dis, moi, que ce n’est pas sa gourmandise seulement qui l’a tué. On lui a fait manger un pâté d’aigle, en lui disant que c’était du faisan.

— L’aigle prussienne est fort meurtrière, je le sais ; mais c’est avec la foudre, et non avec le poison qu’elle frappe.

— Bien, bien ! épargnez-vous les métaphores. Je gagerais cent contre un que c’est un empoisonnement. La Mettrie avait donné dans leurs extravagances, le pauvre diable, et il racontait à qui voulait l’entendre, moitié sérieusement, moitié en se moquant, qu’on lui avait fait voir des revenants et des démons. Ils avaient frappé de folie cet esprit si incrédule et si léger. Mais, comme il avait abandonné Trenck, après avoir été son ami, ils l’ont châtié à leur manière. À mon tour, je les châtierai, moi ! et ils s’en souviendront. Quant à ceux qui veulent, à l’abri de ces supercheries infâmes, tramer des conspirations et déjouer la vigilance des lois… »