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roi en paraissant brusquement sur le seuil de la salle à manger.

— Sur les amours de Frédéric le Grand avec la Porporina de Venise, répondit effrontément La Mettrie. »

Le roi pâlit, et lança un regard terrible sur ses convives, qui tous pâlirent plus ou moins, excepté La Mettrie.

« Que voulez-vous, dit celui-ci tranquillement ; M. de Saint-Germain avait prédit, ce soir, à l’Opéra, qu’à l’heure où Saturne passerait entre Régulus et la Vierge, Sa Majesté suivie d’un page…

— Décidément, qu’est-ce que ce comte de Saint-Germain ? » dit le roi en s’asseyant avec la plus grande tranquillité, et en tendant son verre à La Mettrie, pour qu’il le lui remplît de champagne.

On parla du comte de Saint-Germain ; et l’orage fut ainsi détourné sans explosion. Au premier choc, l’impertinence de Pœlnitz, qui l’avait trahi, et l’audace de La Mettrie, qui osait le lui dire, avaient transporté le roi de colère ; mais, pendant le temps que La Mettrie disait trois paroles, Frédéric s’était rappelé qu’il avait recommandé à Pœlnitz de bavarder sur certain chapitre, et de faire bavarder les autres, à la première occasion. Il était donc rentré en lui-même avec cette facilité et cette liberté d’esprit qu’il possédait au plus haut degré, et il ne fut pas plus question de sa promenade nocturne que si elle n’eût été remarquée de personne. La Mettrie eût bien osé revenir à la charge s’il y eût songé ; mais la légèreté de son esprit suivit la nouvelle route que Frédéric lui ouvrait ; et c’est ainsi que Frédéric dominait souvent La Mettrie lui-même. Il le traitait comme un enfant que l’on voit prêt à briser une glace ou à sauter par une fenêtre, et à qui l’on montre un jouet pour le distraire et le détourner de sa fantaisie. Chacun fit son commen-