Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321

qu’il lui devint à peu près impossible de lutter davantage. Il s’arrêta, et Consuelo essaya de se dégager de ses bras.

« Laissez-moi, dit-elle, je ne veux pas être cause de votre perte. J’ai de la force et du courage, moi aussi ! laissez-moi lutter avec vous. »

Mais le chevalier la serra contre son cœur avec une nouvelle énergie. On eût dit qu’il avait dessein de périr là avec elle. Elle eut peur de ce masque noir, de cet homme silencieux qui, comme les ondins des antiques ballades allemandes, semblait vouloir l’entraîner dans le gouffre. Elle n’osa plus résister. Pendant plus d’un quart d’heure, l’inconnu combattit contre la fureur du flot et du vent, avec une froideur et une obstination vraiment effrayantes, soutenant toujours Consuelo au-dessus de l’eau, et gagnant un pied de terrain en quatre ou cinq minutes. Il jugeait sa situation avec calme. Il lui était aussi difficile de reculer que d’avancer ; il avait passé l’endroit le plus profond, et il sentait que, dans le mouvement qu’il serait forcé de faire pour se retourner, l’eau pourrait le soulever et lui faire perdre pied. Il atteignit enfin la rive, et continua sa marche sans permettre à Consuelo de marcher elle-même, et sans reprendre haleine, jusqu’à ce qu’il eût entendu le sifflet de Karl qui l’attendait avec anxiété. Alors il déposa son précieux fardeau dans les bras du déserteur, et tomba anéanti sur le sable. Sa respiration ne s’exhalait plus qu’en sourds gémissements ; on eût dit que sa poitrine allait se briser.

« Ô mon Dieu, Karl, il va mourir ! dit Consuelo en se jetant sur le chevalier. Vois ! c’est le râle de la mort. Ôtons-lui ce masque qui l’étouffe… »

Karl allait obéir ; mais l’inconnu, soulevant avec effort sa main glacée, arrêta celle du déserteur.

« C’est juste ! dit Karl ; mon serment, signora. Je lui