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comme sortis de leurs orbites ; elle resta immobile, muette et livide. Elle avait perdu connaissance. La Porporina, effrayée, aida madame de Kleist à la délacer et à la porter dans son lit, où elle reprit un peu de sentiment, et continua à murmurer des paroles inintelligibles.

« L’accès va se passer, grâce au ciel, dit madame de Kleist à la cantatrice. Quand elle aura repris l’empire de la volonté, j’appellerai ses femmes. Quant à vous, ma chère enfant, il faut absolument que vous passiez dans le salon de musique et que vous chantiez pour les murailles ou plutôt pour les oreilles de l’antichambre. Car le roi saura infailliblement que vous êtes venue ici, et il ne faut pas que vous paraissiez vous être occupée avec la princesse d’autre chose que de la musique. La princesse va être malade, cela servira à cacher sa joie. Il ne faut pas qu’elle paraisse se douter de l’évasion de Trenck, ni vous non plus. Le roi la sait à l’heure qu’il est, cela est certain. Il aura de l’humeur, des soupçons affreux, et sur tout le monde. Prenez bien garde à vous. Vous êtes perdue tout aussi bien que moi, s’il découvre que vous avez remis cette lettre à la princesse ; et les femmes vont à la forteresse aussi bien que les hommes dans ce pays-ci. On les y oublie à dessein, tout comme les hommes ; elles y meurent, tout comme les hommes. Vous voilà avertie, adieu. Chantez, et partez sans bruit comme sans mystère. Nous serons au moins huit jours sans vous revoir, pour détourner tout soupçon. Comptez sur la reconnaissance de la princesse. Elle est magnifique, et sait récompenser le dévouement…

— Hélas ! Madame, dit tristement la Porporina, vous croyez donc qu’il faut des menaces et des promesses avec moi ? Je vous plains d’avoir cette pensée ! »

Brisée de fatigue après les émotions violentes qu’elle venait de partager, et malade encore de sa propre émo-