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sœur ? Auriez-vous la bonté de me dire par quel hasard vous vous êtes fait présenter ici de but en blanc ? »

La Porporina, étourdie de cette question, demanda au ciel de l’inspirer.

« Sire, répondit-elle en s’efforçant de prendre de l’assurance, je n’en sais trop rien moi-même. On m’a fait demander ce matin la partition que voici. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de l’apporter moi-même. Je croyais déposer mes livres dans l’antichambre et m’en retourner bien vite. Madame de Kleist m’a aperçue. Elle m’a nommée à Son Altesse, qui a eu apparemment la curiosité de me voir de près. On m’a forcée d’entrer. Son Altesse a daigné m’interroger sur le style de divers morceaux de musique ; puis se sentant malade, elle m’a ordonné de lui faire entendre celui-ci pendant qu’elle se mettrait au lit. Et maintenant, je pense qu’on daignera me permettre d’aller à la répétition…

— Ce n’est pas encore l’heure, dit le roi : je ne sais pas pourquoi les pieds vous grillent de vous sauver quand je veux causer avec vous.

— C’est que je crains toujours d’être déplacée devant Votre Majesté.

— Vous n’avez pas le sens commun, ma chère.

— Raison de plus, Sire !

— Vous resterez », reprit-il en la forçant de se rasseoir devant le piano, et en se plaçant debout vis-à-vis d’elle.

Et il ajouta en l’examinant d’un air moitié père, moitié inquisiteur :

« Est-ce vrai, tout ce que vous venez de me conter là ? »

La Porporina surmonta l’horreur qu’elle avait pour le mensonge. Elle s’était dit souvent qu’elle serait sincère sur son propre compte avec cet homme terrible, mais qu’elle saurait mentir s’il s’agissait jamais du salut de