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soufflait, on ne respirait qu’autant que le roi voulait bien le permettre. Il n’y avait dans toute cette masse de spectateurs qu’un spectateur libre de s’abandonner à ses impressions, et c’était le roi. Il était à lui seul tout le public, et, quoiqu’il fût bon musicien, quoiqu’il aimât la musique, toutes ses facultés, tous ses goûts étaient subordonnés à une logique si glacée, que le lorgnon royal attaché à tous les gestes et, on eût dit, à toutes les inflexions de voix de la cantatrice, au lieu de la stimuler, la paralysait entièrement.

Bien lui prenait, au reste, de subir cette pénible fascination. La moindre dose d’inspiration, le moindre accès d’entraînement imprévu, eussent probablement scandalisé le roi et la cour ; tandis que les traits savants et difficiles, exécutés avec la pureté d’un mécanisme irréprochable, ravissaient le roi, la cour et Voltaire. Voltaire disait, comme chacun sait : « La musique italienne l’emporte de beaucoup sur la musique française, parce qu’elle est plus ornée, et que la difficulté vaincue est au moins quelque chose. » Voilà comme Voltaire entendait l’art. Il eût pu dire comme un certain plaisant de nos jours, à qui l’on demandait s’il aimait la musique : elle ne me gêne pas précisément.

Tout allait fort bien, et l’opéra arrivait sans encombre au dénouement ; le roi était fort satisfait, et se tournait de temps en temps vers son maître de chapelle pour lui exprimer d’un signe de tête son approbation ; il s’apprêtait même à applaudir la Porporina à la fin de sa cavatine, ainsi qu’il avait la bonté de le faire en personne et toujours judicieusement, lorsque, par un caprice inexplicable, la Porporina, au milieu d’une roulade brillante qu’elle n’avait jamais manquée, s’arrêta court, fixa des yeux hagards vers un coin de la salle, joignit les mains en s’écriant : O mon Dieu ! et tomba évanouie tout de