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larmes de ma famille. J’entendis les cris déchirants de mon seul enfant, de mon pauvre Albert, et je ne pus faire un mouvement ; je ne pus pas même le voir. On m’avait fermé les yeux, il m’était impossible de les rouvrir. Je me demandais si c’était là la mort, et si l’âme, privée de ses moyens d’action sur le cadavre, conservait dans le trépas les douleurs de la vie et l’épouvante du tombeau. J’entendis des choses terribles autour de mon lit de mort ; le chapelain, essayant de calmer les regrets vifs et sincères de la chanoinesse, lui disait qu’il fallait remercier Dieu de toutes choses, et que c’était un grand bonheur pour mon mari d’être délivré des angoisses de ma continuelle agonie et des orages de mon âme réprouvée. Il ne se servait pas de mots aussi durs, mais le sens était le même, et la chanoinesse l’écoutait et se rendait peu à peu. Je l’entendis même ensuite essayer de consoler Christian avec les mêmes arguments, encore plus adoucis par l’expression, mais tout aussi cruels pour moi. J’entendais distinctement, je comprenais affreusement. C’était, pensait-on, la volonté de Dieu que je n’élevasse pas mon fils, et qu’il fût soustrait dans son jeune âge au poison de l’hérésie dont j’étais infectée. Voilà ce qu’on trouvait à dire à mon époux lorsqu’il s’écriait, en pressant Albert sur son sein : « Pauvre enfant, que deviendras-tu sans ta mère ! » La réponse du chapelain était : « Vous l’élèverez selon Dieu ! »

« Enfin, après trois jours d’un désespoir immobile et muet, je fus portée dans la tombe, sans avoir recouvré la force de faire un mouvement, sans avoir perdu un instant la certitude de l’épouvantable mort qu’on allait me donner ! On me couvrit de diamants, on me revêtit de mes habits de fiançailles, les habits magnifiques que vous m’avez vus dans mon portrait. On me plaça