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querait, de partir pour la Bohême, et de me présenter à Riesenburg, à tout risque, à tout événement.

« La douleur de notre séparation lui fut d’abord moins cruelle qu’à moi. Il ne comprit pas ce qui se passait ; il sembla ne pas y croire. Mais quand il fut rentré sous ce toit funeste où l’air semble être un poison pour la poitrine ardente des descendants de Ziska, il reçut une commotion terrible dans tout son être ; il courut s’enfermer dans la chambre que j’avais habitée ; il m’y appela, et, ne m’y voyant pas reparaître, il se persuada que j’étais morte une seconde fois, et que je ne lui serais plus rendue dans le cours de sa vie présente. Du moins, c’est ainsi qu’il m’a expliqué depuis ce qui se passa en lui à cette heure fatale où sa raison et sa foi furent ébranlées pour des années entières. Il regarda longtemps mon portrait. Un portrait ne ressemble jamais qu’imparfaitement, et ce sentiment particulier que l’artiste a eu de nous, est toujours si au-dessous de celui que conçoivent et conservent les êtres dont nous sommes ardemment aimés, qu’aucune ressemblance ne peut les satisfaire ; elle les afflige même et les indigne parfois. Albert, en comparant cette représentation de ma jeunesse et de ma beauté passée, ne retrouva pas sa vieille mère chérie, ses cheveux gris qui lui semblaient plus augustes, et cette pâleur flétrie qui parlait à son cœur. Il s’éloigna du portrait avec terreur et reparut devant ses parents, sombre, taciturne, consterné. Il alla visiter ma tombe ; il y fut saisi de vertige et d’épouvante. L’idée de la mort lui parut monstrueuse ; et cependant, pour le consoler, son père lui dit que j’étais là, qu’il fallait s’y agenouiller et prier pour le repos de mon âme.

« — Le repos ! s’écria Albert hors de lui, le repos de l’âme ! non, l’âme de ma mère n’est pas faite pour un