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la langue de ses pères. Adieu et partez ! Si Albert ne m’avait pas défendu de répandre le sang humain, vous ne me le raviriez pas ainsi ; mais il me maudirait encore si je levais la main sur vous, et j’aime mieux ne plus le voir que de le voir irrité contre moi. Tu m’entends, ô mon Podiebrad ! s’écria-t-il en pressant contre ses lèvres les mains de mon fils, qui le regardait et l’écoutait sans le comprendre : je t’obéis, et je m’en vais. Quand tu reviendras, tu trouveras ton poêle allumé, tes livres rangés, ton lit de feuilles renouvelé, et le tombeau de ta mère jonché de palmes toujours vertes. Si c’est dans la saison des fleurs, il y aura des fleurs sur elle et sur les os de nos martyrs, au bord de la source… Adieu, Cynabre ! » Et en parlant ainsi, d’une voix entrecoupée par les pleurs, le pauvre Zdenko s’élança sur la pente des rochers qui s’inclinent vers la Bohême, et disparut avec la rapidité d’un daim aux premières lueurs du jour.

« Je ne vous raconterai pas, chère Consuelo, les anxiétés de notre attente durant les premières semaines qu’Albert passa ici auprès de nous. Caché dans le pavillon que vous habitez maintenant, il revint peu à peu à la vie morale que nous nous efforcions de réveiller en lui, avec lenteur et précaution cependant. La première parole qui sortit de ses lèvres après deux mois de silence absolu fut provoquée par une émotion musicale. Marcus avait compris que la vie d’Albert était liée à son amour pour vous, et il avait résolu de n’invoquer le souvenir de cet amour qu’autant qu’il vous saurait digne de l’inspirer et libre d’y répondre un jour. Il prit donc sur vous les informations les plus minutieuses, et, en peu de temps, il connut les moindres détails de votre caractère, les moindres particularités de votre vie passée et présente. Grâce à l’organisation savante de notre ordre, aux rapports