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distinguer dans les pas qui criaient de temps à autre sur le sable, si quatre personnes ou seulement trois l’accompagnaient. Plusieurs fois elle crut saisir le pas de Liverani à droite de la chaise ; mais ce pouvait être une illusion, et d’ailleurs, elle devait s’efforcer de n’y pas songer.

Lorsque la chaise s’arrêta et s’ouvrit, Consuelo ne put se défendre d’un sentiment d’effroi, en se voyant sous la herse, encore debout et sombre, d’un vieux manoir féodal. La lune donnait en pleine lumière sur le préau entouré de constructions en ruines, et rempli de personnages vêtus de blanc qui allaient et venaient, les uns isolés, les autres par groupes, comme des spectres capricieux. Cette arcade noire et massive de l’entrée faisait paraître le fond du tableau plus bleu, plus transparent et plus fantastique. Ces ombres errantes et silencieuses, ou se parlant à voix basse, leur mouvement sans bruit sur ces longues herbes de la cour, l’aspect de ces ruines que Consuelo reconnaissait pour celles où elle avait pénétré une fois, et où elle avait revu Albert, l’impressionnèrent tellement, qu’elle eut comme un mouvement de frayeur superstitieuse. Elle chercha instinctivement Liverani auprès d’elle. Il y était effectivement avec Marcus, mais l’obscurité de la voûte ne lui permit pas de distinguer lequel des deux lui offrait la main ; et cette fois, son cœur glacé par une tristesse subite et par une crainte indéfinissable, ne l’avertit pas.

On arrangea son manteau sur ses vêtements et le capuchon sur sa tête de manière à ce qu’elle pût tout voir sans être reconnue de personne. Quelqu’un lui dit à voix basse de ne pas laisser échapper un seul mot, une seule exclamation, quelque chose qu’elle pût voir, et elle fut conduite ainsi au fond de la cour, où un étrange spectacle s’offrit en effet à ses regards.