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« C’est donc là l’homme que j’ai aimé ! dit-elle, avec le sourire mélancolique d’une sainte ingénuité. Eh bien, oui ! je l’ai aimé tendrement, éperdument ; mais c’était un rêve ! J’ai cru qu’Albert n’était plus, et vous me disiez que celui-ci était digne de mon estime et de ma confiance. Puis j’ai revu Albert ; j’ai cru comprendre, à son langage, qu’il ne voulait plus être mon époux, et je ne me suis pas défendue d’aimer cet inconnu dont les lettres et les soins m’enivraient d’un fol attrait. Mais on m’a dit qu’Albert m’aimait toujours, et qu’il renonçait à moi par vertu et par générosité. Et pourquoi donc Albert s’est-il persuadé que je resterais au-dessous de lui dans le dévouement ? Qu’ai-je fait de criminel jusqu’ici, pour que l’on me croie capable de briser son âme en acceptant un bonheur égoïste ? Non, je ne me souillerai jamais d’un pareil crime. Si Albert me croit indigne de lui pour avoir eu un autre amour que le sien dans le cœur ; s’il se fait un scrupule de briser cet amour, et qu’il ne désire pas m’en inspirer un plus grand, je me soumettrai à son arrêt ; j’accepterai la sentence de ce divorce contre lequel pourtant mon cœur et ma conscience se révoltent ; mais je ne serai ni l’épouse ni l’amante d’un autre. Adieu, Liverani, ou qui que vous soyez, à qui j’ai confié la croix de ma mère dans un jour d’abandon qui ne me laisse ni honte ni remords. Rendez-moi ce gage, afin qu’il n’y ait plus rien entre nous qu’un souvenir d’estime réciproque et le sentiment d’un devoir accompli sans amertume et sans effort.

— Nous ne reconnaissons pas une pareille morale, tu le sais, reprit la sibylle ; nous n’acceptons pas de tels sacrifices ; nous voulons inaugurer et sanctifier l’amour, perdu et profané dans le monde, le libre choix du cœur, l’union sainte et volontaire de deux êtres également épris. Nous avons sur nos enfants le droit de redresser