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propre, elle accepta les reproches sans amertume, et médita quelques instants sa réponse.

« Il est possible que je mérite cette dure malédiction, dit-elle enfin ; je suis loin d’être contente de moi. Mais en venant ici je me suis fait des Invisibles une idée que je veux vous dire. Le peu que j’ai appris de vous par la rumeur populaire, et le bienfait de la liberté que je tiens de vous, m’ont fait penser que vous étiez des hommes aussi parfaits dans la vertu que puissants dans la société. Si vous êtes tels que je me plais à le croire, d’où vient que vous me repoussez si brusquement, sans m’avoir indiqué la route à suivre pour sortir de l’erreur et pour devenir digne de votre protection ? Je sais qu’à cause d’Albert de Rudolstadt, le plus excellent des hommes, comme vous l’avez bien nommé, sa veuve méritait quelque intérêt ; mais ne fussé-je pas la femme d’Albert, ou bien eussé-je été en tout temps indigne de l’être, la zingara Consuelo, la fille sans nom, sans famille et sans patrie, n’a-t-elle pas encore des droits à votre sollicitude paternelle ? Supposez que je sois une grande pécheresse ; n’êtes-vous pas comme le royaume des cieux où la conversion d’un maudit apporte plus de joie que la persévérance de cent élus ? Enfin, si la loi qui vous rassemble et qui vous inspire est une loi divine, vous y manquez en me repoussant. Vous aviez entrepris, dites-vous, de me purifier et de me sanctifier. Essayez d’élever mon âme à la hauteur de la vôtre. Je suis ignorante, et non rebelle. Prouvez-moi que vous êtes saints, en vous montrant patients et miséricordieux, et je vous accepterai pour mes maîtres et mes modèles. »

Il y eut un moment de silence. L’examinateur se retourna vers les juges, et ils parurent se consulter. Enfin l’un d’eux prit la parole et dit :

« Consuelo, tu t’es présentée ici avec orgueil ; pour-