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quoi ne veux-tu pas te retirer de même ? Nous avions le droit de te blâmer, puisque tu venais nous interroger. Nous n’avons pas celui d’enchaîner ta conscience et de nous emparer de ta vie, si tu ne nous abandonnes volontairement et librement l’une et l’autre. Pouvons-nous te demander ce sacrifice ? Tu ne nous connais pas. Ce tribunal dont tu invoques la sainteté est peut-être le plus pervers ou tout au moins le plus audacieux qui ait jamais agi dans les ténèbres contre les principes qui régissent le monde : qu’en sais-tu ? Et si nous avions à te révéler la science profonde d’une vertu toute nouvelle, aurais-tu le courage de te vouer à une étude si longue et si ardue, avant d’en savoir le but ? Nous-mêmes pourrions-nous prendre confiance dans la foi persévérante d’un néophyte aussi mal préparé que toi ? Nous aurions peut-être des secrets importants à te confier, et nous n’en chercherions la garantie que dans tes instincts généreux ; nous les connaissons assez pour croire à ta discrétion : mais ce n’est pas de confidents discrets que nous avons besoin ; nous n’en manquons pas. Nous avons besoin, pour faire avancer la loi de Dieu, de disciples fervents, libres de tous préjugés, de tout égoïsme, de toutes passions frivoles, de toutes habitudes mondaines. Descends en toi-même ; peux-tu nous faire tous ces sacrifices ? Peux-tu modeler tes actions et calquer ta vie sur les instincts que tu ressens, et sur les principes que nous te donnerions pour les développer ? Femme, artiste, enfant, oserais-tu répondre que tu peux t’associer à des hommes graves pour travailler à l’œuvre des siècles ?

— Tout ce que vous dites est bien sérieux, en effet, répondit Consuelo, et je le comprends à peine. Voulez-vous me donner le temps d’y réfléchir ? Ne me chassez pas de votre sein sans avoir interrogé mon cœur. J’ignore s’il est digne des lumières que vous y pouvez répandre.