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trait du mystère ; et si la publicité de leur union, consacrée par la sanction fraternelle des templistes, leur avait paru douce et vivifiante, le secret dont ils s’entourèrent dans un monde hypocrite et licencieux fut pour eux, dans les commencements, une égide nécessaire, et une sorte de muette protestation, où ils puisèrent leur enthousiasme et leur force.

Plusieurs chanteuses et chanteurs italiens firent à cette époque les délices de la petite cour de Bareith. La Corilla et Anzoleto y parurent, et l’inconséquente prima donna s’enflamma de nouveaux feux pour le traître qu’elle avait voué naguère à toutes les furies de l’enfer. Mais Anzoleto, en cajolant la tigresse, s’efforça prudemment, et avec une mystérieuse réserve, de trouver grâce auprès de Consuelo, dont le talent grandi par tant de secrètes et profondes révélations, éclipsait toutes les rivalités. L’ambition était devenue la passion dominante du jeune ténor ; l’amour avait été étouffé sous le dépit, la volupté même sous la satiété. Il n’aimait donc ni la chaste Consuelo, ni la fougueuse Corilla ; mais il ménageait l’une et l’autre, tout prêt à se rattacher en apparence à celle des deux qui le prendrait à sa suite et l’aiderait à se faire avantageusement connaître. Consuelo lui témoigna une paisible amitié, et ne lui épargna pas les bons conseils et les consciencieuses leçons qui pouvaient donner l’essor à son talent. Mais elle ne sentit plus auprès de lui aucun trouble, et la mansuétude de son pardon lui révéla à elle-même l’absolue consommation de son détachement. Anzoleto ne s’y méprit pas. Après avoir écouté avec fruit les enseignements de l’artiste, et feint d’entendre avec émotion les conseils de l’amie, il perdit la patience en perdant l’espoir, et sa profonde rancune, son amer dépit, percèrent malgré lui dans son maintien et dans ses paroles.