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logue, quant au fond, à celui que, vers la même époque, Frédéric de Trenck entama, soutint et perdit après bien des années de lutte. Qui connaîtrait aujourd’hui en France les détails de cette inique affaire, si Trenck lui-même n’eût pris soin de les publier et de répéter ses plaintes chaleureuses durant trente ans de sa vie ? Mais Albert ne laissa point d’écrits. Nous allons donc être forcé de nous reporter à l’histoire du baron de Trenck, puisque aussi bien il est un de nos héros, et peut-être ses embarras jetteront-ils quelque lumière sur les malheurs d’Albert et de Consuelo.

Un mois à peine après la réunion du saint Graal, circonstance sur laquelle Trenck a gardé le plus profond secret dans ses Mémoires, il avait été repris et enfermé à Magdebourg, où il consuma les dix plus belles années de sa jeunesse, dans un cachot affreux, assis sur une pierre qui portait son épitaphe anticipée : Ci-gît Trenck, et chargé de quatre-vingts livres de fers. Tout le monde connaît cette célèbre infortune, les circonstances odieuses qui l’accompagnèrent, telles que les angoisses de la faim qu’on lui fit subir pendant dix-huit mois, et le soin de faire bâtir une prison pour lui aux frais de sa sœur, pour punir celle-ci, en la ruinant, de lui avoir donné asile ; ses miraculeuses tentatives d’évasion, l’incroyable énergie qui ne l’abandonna jamais et que déjouèrent ses imprudences chevaleresques ; ses travaux d’art dans la prison, les merveilleuses ciselures qu’il vint à bout de faire avec une pointe de clou sur des gobelets d’étain, et dont les sujets allégoriques et les devises en vers sont si profondes et si touchantes[1] ; enfin, ses relations secrètes, en dépit de tout, avec la princesse Amélie de Prusse ; le désespoir où celle-ci se consuma, le soin

  1. On en a encore dans quelques musées particuliers de l’Allemagne.