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des montagnes, sans un guide, sans un chien pour le conduire et mendier à sa place !

— Emmenons-le, et conduisons-le à un gîte », répondit Spartacus.

Mais comme nous nous mettions en devoir de le soulever, pour voir s’il pouvait se tenir sur ses jambes, il nous fit signe de ne pas le troubler, en posant un doigt sur ses lèvres, et en nous désignant de l’autre main le fond du préau. Nos regards se portèrent de ce côté ; nous n’y vîmes personne, mais aussitôt nos oreilles furent frappées des sons d’un violon d’une force et d’une justesse extraordinaires. Jamais je n’ai entendu aucun maître donner à son archet une vibration si pénétrante et si large, et mettre dans un rapport si intime les cordes de l’âme et celles de l’instrument. Le chant était simple et sublime. Il ne ressemblait à rien de ce que j’ai entendu dans nos concerts et sur nos théâtres. Il portait dans le cœur une émotion pieuse et belliqueuse à la fois. Nous tombâmes, le maître et moi, dans une sorte de ravissement, et nous nous disions par nos regards qu’il y avait là quelque chose de grand et de mystérieux. Ceux du vieillard avaient repris une sorte d’éclat vague comme celui de l’extase. Un sourire de béatitude entr’ouvrait ses lèvres flétries, et montrait assez qu’il n’était ni sourd ni insensible.

Tout rentra dans le silence après une courte et adorable mélodie, et bientôt nous vîmes sortir d’une chapelle située vis-à-vis de nous, un homme d’un âge mûr, dont l’extérieur nous remplit d’émotion et de respect. La beauté de son visage austère et les nobles proportions de sa taille contrastaient avec les membres difformes et les traits sauvages du vieillard que Spartacus comparait à un faune converti et baptisé. Le joueur de violon marchait droit à nous, son instrument sous le bras, et