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Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/311

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moi, je restai comme enchanté aux pieds de la Zingara. Je ne sais si j’oserais vous dire ce qui se passait en moi. Cette femme pourrait être ma mère, sans doute ; eh bien, je ne sais quel charme émane d’elle encore. Malgré le respect que j’ai pour son époux, malgré la terreur dont la seule idée de l’oublier m’eût pénétré en cet instant, je sentais mon âme tout entière s’élancer vers elle avec un enthousiasme que ni l’éclat de la jeunesse ni le prestige du luxe ne m’ont jamais inspiré. Ô puissé-je rencontrer une femme semblable à cette Zingara pour lui consacrer ma vie ! Mais je ne l’espère pas, et maintenant que je ne la reverrai plus, il y a au fond de mon cœur une sorte de désespoir, comme s’il m’eût été révélé qu’il n’y a pas pour moi une autre femme à aimer sur la terre.

La Zingara ne me voyait seulement pas. Elle écoutait Spartacus, elle était frappée de son langage ardent et sincère. Trismégiste en fut pénétré aussi. Il lui serra la main, et le fit asseoir sur la pierre du Schreckenstein auprès de lui.

« Jeune homme, lui dit-il, tu viens de réveiller en moi tous les souvenirs de ma vie. J’ai cru m’entendre parler moi-même à l’âge que tu as maintenant, lorsque je demandais ardemment la science de la vertu à des hommes mûris par l’âge et l’expérience. J’étais décidé à ne te rien dire. Je me méfiais, non de ton intelligence ni de ta probité, mais de la naïveté et de la flamme de ton cœur. Je ne me sentais pas capable d’ailleurs de retranscrire, dans une langue que j’ai parlée autrefois, les pensées que je me suis habitué depuis à manifester par la poésie de l’art, par le sentiment. Ta foi a vaincu, elle a fait un miracle, et je sens que je dois te parler. Oui, ajouta-t-il après l’avoir examiné en silence pendant un instant, qui nous parut un siècle, car nous tremblions