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et en même temps la persuasion que c’était lui, en effet, qu’elle venait de voir. Entraînée par cette habitude de dévouement qui lui avait toujours tenu lieu d’amour pour lui, elle se dit que s’il venait ainsi errer autour d’elle, c’était dans l’espérance timide de l’entretenir. Ce n’était pas la première fois qu’il le tentait ; il l’avait dit à Trenck un soir où peut-être il s’était croisé dans l’obscurité avec Liverani. Consuelo résolut de provoquer cette explication nécessaire. Sa conscience lui faisait un devoir d’éclaircir ses doutes sur les véritables dispositions de son époux, généreux ou volage. Elle redescendit au jardin et courut après lui, tremblante et pourtant courageuse ; mais elle avait perdu sa trace, et elle parcourut tout l’enclos sans le rencontrer.

Enfin elle vit tout à coup, au sortir d’un bosquet, un homme debout au bord de l’eau. Était-ce bien le même qu’elle cherchait ? Elle l’appela du nom d’Albert ; il tressaillit, passa ses mains sur son visage, et lorsqu’il se retourna, le masque noir couvrait déjà ses traits.

« Albert, est-ce vous ? s’écria Consuelo ; c’est vous, vous seul que je cherche. »

Une exclamation étouffée trahit chez cet inconnu je ne sais quelle émotion de joie ou de douleur. Il sembla vouloir fuir ; Consuelo avait cru reconnaître la voix d’Albert, elle s’élança et le retint par son manteau. Mais elle s’arrêta, le manteau en s’écartant avait laissé voir sur la poitrine de l’inconnu une assez large croix d’argent que Consuelo connaissait trop bien : c’était celle de sa mère, la même qu’elle avait confiée au chevalier durant son voyage avec lui, comme un gage de reconnaissance et de sympathie.

« Liverani ! dit-elle, toujours vous ! Puisque c’est vous, adieu ! pourquoi m’avez-vous désobéi ? »

Il se jeta à ses pieds, l’entoura de ses bras et lui pro-