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voulons, comme ils le voulaient, affranchir le genre humain ; mais, comme eux, nous ne sommes pas libres nous-mêmes, et comme eux, nous marchons peut-être au supplice.

« Cependant le combat a changé de terrain, et les armes de nature. Nous bravons encore la rigueur ombrageuse des lois, nous nous exposons encore à la proscription, à la misère, à la captivité, à la mort ; car les moyens de la tyrannie sont toujours les mêmes : mais nos moyens, à nous, ne sont plus l’appel à la révolte matérielle, et la prédication sanglante de la croix et du glaive. Notre guerre est tout intellectuelle comme notre mission. Nous nous adressons à l’esprit. Nous agissons par l’esprit. Ce n’est pas à main armée que nous pouvons renverser des gouvernements, aujourd’hui organisés et appuyés sur tous les moyens de la force brutale. Nous leur faisons une guerre plus lente, plus sourde et plus profonde, nous les attaquons au cœur. Nous ébranlons leurs bases en détruisant la foi aveugle et le respect idolâtrique qu’ils cherchent à inspirer. Nous faisons pénétrer partout, et jusque dans les cours, et même jusque dans l’esprit troublé et fasciné des princes et des rois, ce que personne n’ose déjà plus appeler le poison de la philosophie ; nous détruisons tous les prestiges ; nous lançons du haut de notre forteresse, tous les boulets rouges de l’ardente vérité et de l’implacable raison sur les autels et sur les trônes. Nous vaincrons, n’en doute pas. Dans combien d’années, dans combien de jours ? nous l’ignorons. Mais notre entreprise date de si loin, elle a été conduite avec tant de foi, étouffée avec si peu de succès, reprise avec tant d’ardeur, poursuivie avec tant de passion, qu’elle ne peut pas échouer ; elle est devenue immortelle de sa nature comme les biens immortels dont elle a résolu la conquête. Nos ancêtres