Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/10

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— Vous êtes une femme bornée ! lui dit Lélio en passant ses ongles sur les cordes dont la vibration expira en un cri aigre et déchirant.

— Point d’orgue germanique ! s’écria la belle Vénitienne en éclatant de rire et en lui abandonnant la guitare.

— L’artiste, reprit Lélio, a pour patrie le monde entier, la grande Bohême, comme nous disons.

Per Dio ! faisons la guerre au despotisme autrichien, mais respectons la valse allemande ! la valse de Weber, ô mes amis ! la valse de Beethoven et de Schubert ! Oh ! écoutez, écoutez ce poème, ce drame, cette scène de désespoir, de passion et de joie délirante !

En parlant ainsi, l’artiste fit résonner les cordes de l’instrument, et se mit à vocaliser, de toute la puissance de sa voix et de son âme, le chant sublime du Désir de Beethoven ; puis, s’interrompant tout à coup et jetant sur l’herbe l’instrument encore plein de vibration pathétique :

— Jamais aucun chant, dit-il, n’a remué mon âme comme celui-là. Il faut bien l’avouer, notre musique italienne ne parle qu’aux sens ou à l’imagination exaltée ; celle-ci parle au cœur et aux sentiments les plus profonds et les plus exquis. J’ai été comme vous, Beppa. J’ai résisté à la puissance du génie germanique ; j’ai longtemps bouché les oreilles de mon corps et celles de mon intelligence à ces mélodies du Nord, que je ne pouvais ni ne voulais comprendre. Mais les temps sont venus où l’inspiration divine n’est plus arrêtée aux frontières des États par la couleur des uniformes et la bigarrure des bannières. Il y a dans l’air je ne sais quels anges ou quels sylphes, messagers invisibles du progrès, qui nous apportent l’harmonie et la poésie de tous les points de l’horizon. Ne nous enterrons pas sous nos ruines ; mais que notre génie étende ses ailes et ouvre ses bras pour