Aller au contenu

Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

épouser tous les génies contemporains par-dessus les cimes des Alpes.

— Écoutez, comme il extravague ! s’écria Beppa en essuyant son luth déjà couvert de rosée ; moi qui le prenais pour un homme raisonnable !

— Pour un homme froid et peut-être égoïste, n’est-ce pas, Beppa ? reprit l’artiste en se rasseyant d’un air mélancolique. Eh bien ! J’ai cru moi-même être cet homme-là ; car j’ai fait des actes de raison, et j’ai sacrifié aux exigences de la société. Mais quand la musique des régiments autrichiens fait retentir, le soir, les échos de nos grandes places et nos tranquilles eaux des airs de Freyschütz et des fragments de symphonie de Beethoven, je m’aperçois que j’ai des larmes en abondance, et que mes sacrifices n’ont pas été de peu de valeur. Ce sens nouveau semble se révéler à moi : la mélancolie des regrets, l’habitude de la tristesse et le besoin de la rêverie, ces éléments qui n’entrent guère dans notre organisation méridionale, pénètrent désormais en moi par tous les pores, et je vois bien clairement que notre musique est incomplète, et l’art que je sers insuffisant à l’expression de mon âme ; voilà pourquoi vous me voyez dégoûté du théâtre, blasé sur les émotions du triomphe, et peu désireux de conquérir de nouveaux applaudissements à l’aide des vieux moyens ; c’est que je voudrais m’élancer dans une vie d’émotions nouvelles et trouver dans le drame lyrique l’expression du drame de ma propre vie ; mais alors je deviendrais peut-être triste et vaporeux comme un Hambourgeois, et tu me raillerais cruellement, Beppa ! C’est ce qu’il ne faut pas. Ô mes bons amis, buvons ! et vive la joyeuse Italie et Venise la belle !

Il porta son verre à ses lèvres ; mais il le remit sur la table avec préoccupation, sans avoir avalé une seule