Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

éloignée pour rompre le silence. Alors elle me prit gravement la main, et commença :

— Je vais vous dire une chose que je n’ai jamais dite à personne, et que je m’étais bien promis de ne jamais dire. Il s’agit de ma mère, objet de toute ma vénération et de tout mon amour. Jugez de ce qu’il m’en coûte pour réveiller un souvenir qui pourrait, devant d’autres yeux que les miens, ternir sa pureté et sa bonne renommée ! Mais je sais que vous êtes bon, et que je puis vous parler comme je parlerais à Dieu, sans craindre de vous voir supposer le mal.

Elle se tut un instant pour rassembler ses souvenirs, et reprit :

— Je me rappelle que dans mon enfance j’étais très fière de ma noblesse. C’étaient, je crois, les flatteries obséquieuses des gens de notre maison qui m’avaient inspiré de si bonne heure ce sentiment, et m’avaient portée à mépriser tout ce qui n’était pas noble comme moi. Parmi tous les serviteurs de ma mère, un seul ne ressemblait point aux autres, et avait su garder dans son humble position toute la dignité qui sied à un homme. Aussi me paraissait-il insolent, et peu s’en fallait que je ne le haïsse. Toujours est-il que je le craignais, surtout depuis un jour que je l’avais vu me regarder d’un air très sérieux pendant que je piquais au cœur avec une grande épingle noire mes plus belles poupées.

« Une nuit, je fus réveillée dans la chambre de ma mère, où mon petit lit se trouvait placé, par la voix d’un homme. Cette voix parlait à ma mère avec une gravité presque sévère, et celle-ci lui répondait d’un ton douloureusement timide et comme suppliant. Étonnée, je crus d’abord que c’était le confesseur de maman ; et comme il semblait la gronder, selon sa coutume, je me mis à écouter de toutes mes oreilles, sans faire aucun bruit