Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/23

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couchée sur un sofa, et dehors elle était toujours étendue dans sa gondole. Elle se disait faible sur les jambes, et ne montait ou ne descendait jamais un escalier sans être soutenue par deux personnes ; dans ses appartements elle était toujours appuyée sur le bras de Salomé, une belle fille juive qui la servait et lui tenait compagnie. On disait à ce propos que Mme Aldini était boiteuse par suite de la chute d’un meuble que son mari avait jeté sur elle dans un accès de colère, et qui lui avait fracturé la jambe : c’est ce que je n’ai jamais su précisément, bien que pendant plus de deux ans elle se soit appuyée sur mon bras pour sortir de son palais et pour y rentrer, tant elle mettait d’art et de soin à cacher cette infirmité.

Malgré sa bienveillance et sa douceur, Bianca ne manquait ni de discernement ni de prudence dans le choix des personnes qui l’entouraient ; il est certain que nulle part je n’ai vu autant de braves gens réunis. Si vous me trouvez un peu de bonté et assez de fierté dans l’âme, c’est au séjour que j’ai fait dans cette maison qu’il faut l’attribuer. Il était impossible de n’y pas contracter l’habitude de bien penser, de bien dire et de bien faire ; les valets étaient probes et laborieux, les amis fidèles et dévoués… les amants même… (car il faut bien l’avouer, il y eut des amants) étaient pleins d’honneur et de loyauté. J’avais là plusieurs patrons ; de tous ces pouvoirs, la signora était le moins impératif. Au reste, tous étaient bons ou justes. Salomé, qui était le pouvoir exécutif de la maison, maintenait l’ordre avec un peu de sévérité ; elle ne souriait guère, et le grand arc de ses sourcils se divisait rarement en deux quarts de cercle au-dessus de ses longs yeux noirs. Mais elle avait de l’équité, de la patience et un regard pénétrant qui ne méconnaissait jamais la sincérité. Mandola, premier gondolier, et mon