Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

j’avais la conscience de mes progrès. Bientôt les leçons de la signora ne me suffirent plus. Elle chantait pour son plaisir, portant à l’étude une nonchalance superbe, et ne cherchant point à se perfectionner. J’avais un désir immodéré d’aller au théâtre ; mais, pendant tout le temps qu’elle y passait, j’étais condamné à garder la gondole, Mandola jouissant du privilège d’aller au parterre, ou d’écouter dans les corridors. J’obtins enfin de lui, un jour, qu’il me laissât entrer à sa place pendant un acte d’opéra, à la Fenice. On jouait le Mariage secret. Je ne chercherai point à vous rendre ce que j’éprouvai : je faillis devenir fou, et, manquant à la parole que j’avais donnée à mon compagnon, je le laissai se morfondre dans la gondole, et ne songeai à sortir que quand je vis la salle vide et les lustres éteints.

Alors je sentis le besoin impérieux, irrésistible, d’aller au théâtre tous les soirs. Je n’osais point demander la permission à Mme  Aldini : je craignais qu’elle ne vînt encore à railler ma passion infortunée (comme elle l’appelait) pour la musique. Cependant, il fallait mourir ou aller à la Fenice. J’eus la coupable pensée de quitter le service de la signora et de gagner ma vie en qualité de facchino à la journée, afin d’avoir le temps et le moyen d’aller le soir au théâtre. Je calculai qu’avec les petites économies que j’avais faites au palais Aldini, et en réduisant mon vêtement et ma nourriture au plus strict nécessaire, je pourrais satisfaire ma passion. Je pensai aussi à entrer au théâtre comme machiniste, comparse ou allumeur ; l’emploi le plus abject m’eût semblé doux, pourvu que je pusse entendre de la musique tous les jours. Enfin, je pris le parti d’ouvrir mon cœur au bienveillant Montalegri. On lui avait raconté mon aventure musicale. Il commença par rire ; puis, comme j’insistais courageusement, il exigea pour condition que je lui fisse