Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/34

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les pauvres. Elle semblait succomber à un accablement dont nous cherchions vainement la cause.

Pendant une semaine, elle parut chercher à se distraire. Elle s’entoura de monde, et le soir elle se fit suivre par plusieurs gondoles où se placèrent ses amis et des musiciens qui lui donnèrent la sérénade. Une fois elle me pria de chanter. Je déclinai ma compétence en présence de musiciens de profession et de nombreux dilettanti. Elle insista d’abord avec douceur, et puis avec un peu de dépit ; je continuai de m’en défendre, et enfin elle m’ordonna d’un ton absolu de lui obéir. C’était la première fois de sa vie qu’elle s’emportait. Au lieu de comprendre que c’était la maladie qui changeait ainsi son caractère, et de faire acte de complaisance, je m’abandonnai à un mouvement d’orgueil invincible, et lui déclarai que je n’étais pas son esclave, que je m’étais engagé à conduire sa gondole et non à divertir ses convives ; et, en un mot, que j’avais failli perdre ma voix pour la distraire, et que, puisqu’elle me récompensait si mal de mon dévouement, je ne chanterais plus ni pour elle ni pour personne. Elle ne répondit rien ; les amis qui l’accompagnaient, étonnés de mon audace, gardaient le silence. Au bout de quelques instants, Salomé fit un cri et saisit la petite Alezia, qui, endormie dans les bras de sa mère, avait failli tomber à l’eau. La signora était évanouie depuis quelques minutes, et personne ne s’en était aperçu.

J’abandonnai la rame ; je parlai au hasard ; je m’approchai de la signora ; j’étais si troublé, que j’eusse fait quelque folie si la prudente Salomé ne m’eût renvoyé impérieusement à mon poste. La signora revint à elle, on reprit à la hâte la route du palais. Mais la société était surprise et consternée, la musique allait tout de travers ; et, quant à moi, j’étais si désolé et si effrayé, que mes mains tremblantes ne pouvaient plus soutenir la rame.