Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/41

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de rester près de la signora Alezia. Je vis la signora rougir et pâlir, tandis que je prenais la rame et que je repoussais avec empressement le perron de marbre qui bientôt sembla fuir derrière nous.

Quand je me vis seulement à quelques brasses de distance du palais, il ne sembla que je venais de conquérir le monde et que les importuns écartés, ma victoire était assurée. Je ramais con furore jusqu’au milieu des lagunes sans me détourner, sans dire un seul mot, sans reprendre haleine. J’avais bien plutôt l’air d’un amant qui enlève sa maîtresse que d’un gondolier qui conduit sa patronne. Quand nous fûmes sans témoins, je jetai ma rame, et laissai la barque s’en aller à la dérive ; mais là, tout mon courage m’abandonna ; il me fut impossible de parler à la signora, je n’osai même pas la regarder. Elle ne me donna aucun encouragement, et je la ramenai au palais, assez mortifié d’avoir repris le métier de barcarolle sans avoir obtenu la récompense que j’espérais.

Salomé me montra de l’humeur et m’humilia plusieurs fois, en m’accusant d’avoir l’air brusque et préoccupé. Je ne pouvais dire une parole à la signora sans que la camériste me reprît, prétendant que je ne m’exprimais pas d’une manière respectueuse. La signora, qui prenait toujours ma défense, ne parut pas seulement s’apercevoir, ce soir-là, des mortifications qu’on me faisait éprouver. J’étais outré. Pour la première fois, je rougissais sérieusement de ma position, et j’eusse songé à en sortir si l’invincible aimant du désir ne m’eût retenu en servage.

Pendant plusieurs jours je souffris beaucoup. La signora me laissait impitoyablement exténuer mes forces à la faire courir sur l’eau, en plein midi, par un temps d’automne sec et brûlant, en présence de toute la ville, qui m’avait vu longtemps assis dans sa gondole, à ses