Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/42

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pieds, presque à ses côtés, et qui me voyait maintenant, couvert de sueur, retourner de la sublime profession de barde au dur métier de rameur. Mon amour se changea en colère. J’eus deux ou trois fois la tentation coupable de lui manquer de respect en public ; et puis j’eus honte de moi-même, et je retombai dans l’accablement.

Un matin, il lui prit fantaisie d’aborder au Lido. La rive était déserte, le sable étincelait au soleil ; ma tête était en feu, la sueur ruisselait sur ma poitrine. Au moment où je me baissais pour soulever Mme Aldini, elle passa sur mon front humide son mouchoir de soie et me regarda avec une sorte de compassion tendre.

— Poveretto ! me dit-elle, tu n’es pas fait pour le métier auquel je te condamne !

— Pour vous j’irais à l’arsenal1, répondis-je avec feu.

— Et tu sacrifierais, reprit-elle, ta belle voix, et le grand talent que tu peux acquérir, et la noble profession d’artiste à laquelle tu peux arriver ?

— Tout ! lui répondis-je en pliant les deux genoux devant elle.

— Tu mens ! reprit la signora d’un air triste. Retourne à ta place, ajouta-t-elle en me montrant la proue. Je veux me reposer un peu ici.

Je retournai à la proue, mais je laissai ouverte la porte du camerino. Je la voyais pâle et blonde, étendue sur les coussins noirs, enveloppée dans sa noire mantille, enfoncée et comme cachée dans le velours noir de cet habitacle mystérieux, qui semble fait pour les plaisirs furtifs et les voluptés défendues. Elle ressemblait à un beau cygne qui, pour éviter le chasseur, s’enfonce sous une sombre grotte. Je sentis ma raison m’abandonner ; je me glissai