Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de mes sens s’apaisa. Si j’avais eu affaire à une grande âme, ou seulement à un caractère énergique, c’eût été à mes yeux une tâche glorieuse que d’effacer les tristes souvenirs laissés dans ce cœur douloureux par mes prédécesseurs. Mais succéder à de tels hommes pour n’être pas compris, pour être sans doute un jour délaissé et oublié de même, c’était un bonheur que je ne pouvais plus acheter au prix d’une grande dépense de passion et de volonté. La signora Aldini était une bonne et belle femme ; mais ne pouvais-je pas trouver dans une chaumière de Chioggia la beauté et la bonté réunies sans faire couler de larmes, sans causer de remords, et surtout sans laisser de honte ?

Mon parti fut bientôt pris. Je résolus non seulement de quitter la signora, mais le métier de valet. Tant que j’avais été amoureux de sa harpe et de sa personne, je n’avais pas eu le loisir de faire des réflexions sérieuses sur ma condition. Mais, du moment où je renonçais à d’imprudentes espérances, je voyais combien il est difficile de conserver sa dignité sauve sous la protection des grands, et je me rappelais les salutaires représentations que mon père m’avait faites autrefois et que j’avais mal écoutées.

Lorsque je lui fis pressentir mon dessein, quoiqu’elle le combattît, je vis qu’elle recevait un grand allégement ; le bonheur pouvait revenir habiter cette âme tendre et bienfaisante. La douce frivolité, qui faisait le fond de son caractère, reparaîtrait à la surface avec le premier amant qui saurait mettre de son côté le confesseur, les valets et le monde. Une grande passion l’eût brisée ; une suite d’affections faciles et une multitude de petits dévouements devaient la faire vivre dans son élément naturel.

Je la forçai de convenir de tout ce que j’avais deviné.