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Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/70

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homme, en attendant l’heure favorable pour tendre ses filets, dormait là, suivant la coutume des vieux pêcheurs, étendu sur le dos, le corps et le visage abrités d’une couverture de crin, au claquement d’une bise aiguë. Les flots moutonnaient autour de lui et le couvraient d’écume ; aucun bruit humain ne se faisait entendre dans les vastes solitudes de l’Adriatique. J’écartai doucement la couverture pour le regarder. Il était l’image de la force dans son repos. Sa barbe grise, aussi mêlée que les algues à la montée des flots, son sayon couleur de vase et son bonnet de laine d’un vert limoneux lui donnaient l’aspect d’un vieux Triton endormi dans sa conque. Il ne montra pas plus de surprise en s’éveillant que s’il m’eût attendu.

— Oh ! oh ! dit-il, je rêvais de cette pauvre femme, et elle me disait : « Lève-toi, vieux, voilà notre fils Daniel qui revient. »






DEUXIÈME PARTIE


« Il ne s’agit pas, mes amis, continua le bon Lélio, de vous raconter toutes les vicissitudes par lesquelles je passai des grèves de Chioggia aux planches des premiers théâtres de l’Italie, et du métier de pêcheur à l’emploi de primo tenore ; ce fut l’ouvrage de quelques années, et ma réputation grandit rapidement dès que le premier pas fut fait dans la carrière. Si jusque-là les circonstances furent souvent rebelles, mon facile caractère sut en tirer le meilleur parti possible, et je puis dire que mes grands succès et mes beaux jours ne furent pas payés trop cher.

Dix ans après mon départ de Venise, j’étais à Naples, et je jouais Roméo sur le théâtre de Saint-Charles. Le roi Murat et son brillant état-major, et toutes les beautés