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vaniteuses ou vénales de l’Italie, étaient là. Je ne me piquais pas d’être un patriote bien éclairé ; mais je ne partageais pas l’engouement de cette époque pour la domination étrangère. Je ne me retournais pas vers un passé plus avilissant encore ; je me nourrissais de ces premiers éléments du carbonarisme, qui fermentaient dès lors, sans forme et sans nom, de la Prusse à la Sicile.

Mon héroïsme était naïf et brûlant, comme le sont les religions à leur aurore. Je portais dans tout ce que je faisais, et principalement dans l’exercice de mon art, le sentiment de fierté railleuse et d’indépendance démocratique dont je m’inspirais chaque jour dans les clubs et dans les pamphlets clandestins. Les Amis de la vérité, les Amis de la lumière, les Amis de la liberté, telles étaient les dénominations sous lesquelles se groupaient les sympathies libérales ; et jusque dans les rangs de l’armée française, aux côtés mêmes des chefs considérants, nous avions des affiliés, enfants de votre grande révolution, qui, dans le secret de leur âme, se promettaient de laver la tache du 18 brumaire.

J’aimais ce rôle de Roméo, parce que j’y pouvais exprimer des sentiments de lutte guerrière et de haine chevaleresque. Lorsque mon auditoire, à demi français, battait des mains à mes élans dramatiques, je me sentais vengé de notre abaissement national ; car c’était à leur propre malédiction, au souhait et à la menace de leur propre mort que ces vainqueurs applaudissaient à leur insu.

Un soir, au milieu d’un de mes plus beaux moments et lorsque la salle semblait prête à crouler sous des explosions d’enthousiasme, mes regards rencontrèrent, dans une loge d’avant-scène tout à fait appuyée sur le théâtre, une figure impassible dont l’aspect me glaça subitement.