Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/84

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Le cousin entra dans cet instant, et, pour le saluer, je fis sauter une troisième corde. C’était une des dernières basses ; elle fit une détonation épouvantable. Le cousin, qui ne s’y attendait point, fit un pas en arrière, et la signora partit d’un éclat de rire. Ce rire me parut étrange. Il n’allait ni à sa figure, ni à son maintien ; il avait quelque chose d’âpre et de saccadé, qui déconcerta le cousin, si bien que j’en eus presque pitié.

— Je crains bien, dit la signora lorsque la fin de cette crise nerveuse lui permit de parler, que nous ne puissions pas faire de musique ce soir. Ce pauvre vieux cembalo est ensorcelé, toutes les cordes cassent. C’est un fait surnaturel, je vous assure, Hector ; il suffit de les regarder pour qu’elles se tordent et se brisent avec un bruit affreux.

Puis elle recommença à rire aux éclats sans que sa figure en reçût le moindre enjouement. Le cousin se mit à rire par obéissance, et fut tout à coup interrompu par ces mots de la signora :

— Mon Dieu ! mon cousin, ne riez donc pas ; vous n’en avez pas la moindre envie.

Le cousin me parut très habitué à être raillé et tourmenté. Mais il fut blessé sans doute que la chose se passât devant moi ; car il dit d’un ton fâché :

— Et pourquoi donc, cousine, n’aurais-je pas envie de rire aussi bien que vous ?

— Parce que je vous dis que cela n’est pas, répondit la signora. Mais, dites-moi donc, Hector, ajouta-t-elle sans se soucier de la bizarrerie de la transition, avez-vous été à San Carlo cette année ?

— Non, ma cousine.

— En ce cas, vous n’avez pas entendu le fameux Lélio ?

Elle prononça ces derniers mots avec emphase ; mais elle n’eut pas l’impudence de me regarder tout de suite après, et j’eus le temps de réprimer le tressaillement que me causa ce coup de pierre au beau milieu du visage.