Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/89

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d’une perdrix qu’elle mit sur une assiette du Japon, et qu’elle alla dévorer à l’autre bout de la chambre, accroupie sur un coussin de velours à glands d’or.

Je la regardais avec étonnement, ne sachant pas trop si elle était folle ou si elle voulait me mystifier.

— Vous ne mangez pas ? me dit-elle sans se déranger.

— Votre Seigneurie ne me l’a pas commandé, répondis-je.

— Oh ! ne vous gênez pas, dit-elle en continuant à manger à belles dents.

Ce pâté avait une si bonne mine et un si bon fumet, que j’écoutai les conseils philosophiques de la raison positive. J’attirai une autre perdrix dans une autre assiette du Japon, que je posai sur le clavier du piano et que je me mis à dévorer de mon côté avec autant de zèle que la signora.

Si ce château n’est pas celui de la Belle au bois dormant, pensai-je, et que cette maligne fée n’en soit pas le seul être animé, il est évident que nous allons voir arriver un oncle, un père, ou une tante, ou une gouvernante, ou quelque chose qui soit censé, aux yeux des bonnes gens, servir de chaperon à cette tête indomptée. En cas d’une apparition de ce genre, je voudrais bien savoir jusqu’à quel point cette bizarre manière de déjeuner sur un piano en tête à tête avec la demoiselle de la maison sera trouvée séante. Peu m’importe, après tout ; il faut bien voir où me mèneront ces extravagances, et, s’il y a là-dessous une haine de femme, j’aurai mon tour, dussé-je l’attendre dix ans !

En même temps je regardais par-dessus le pupitre du piano ma belle hôtesse, qui mangeait d’une manière surnaturelle, et qui ne semblait nullement possédée de cette sotte manie qu’ont les demoiselles de ne manger qu’en secret, et de pincer les lèvres à table d’un air sentimental, comme si elles étaient d’une nature supérieure