Page:Sand - Le Beau Laurence.djvu/192

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tier qui n’enrichit pas est toujours honteux. Le commis voyageur ne se fit pas faute de dire que j’étais sur le chemin qui mène à mourir de faim, et que, puisque j’aimais à voir du pays, j’eusse mieux fait de courir pour placer des vins.

La nouvelle fit en un instant le tour de la petite ville et arriva jusqu’à mon père avant la fin du jour. Vous vous souvenez qu’il appelait comédiens les meneurs d’ours et les avaleurs de sabre. Il haussa les épaules et traita de menteurs ceux qui me calomniaient de la sorte. Il vint trouver le commis voyageur à l’auberge où nous voici, et tâcha de comprendre ce dont il s’agissait. Charmé de prendre un peu d’importance aux yeux d’un père de famille alarmé et d’une population ébahie, notre homme me réhabilita un peu en disant que je n’escamotais pas la noix muscade et que je ne dansais pas sur la corde ; mais il déclara que j’avais une existence bien précaire, que probablement j’étais en train d’acquérir tous les vices qu’engendre une vie d’aventures, et que ce serait me rendre service que de m’arracher à un milieu qui m’entraînait ou m’exploitait.

Mon pauvre père se retira bien triste et tout rê-