Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/150

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« Dès que je me vis en possession de mon titre et de mes biens, grâce aux conseils de mon digne ami, l’avocat de Briançon, je me tins coi, je fis le mort ; je ne révélai à personne ma nouvelle situation, et je restai enfermé, quasi caché dans mon château, sans faire savoir sous quel nom j’avais été connu ailleurs. Je continuerai à agir ainsi jusqu’à ce que j’aie payé toutes les dettes que j’ai contractées durant cinquante années de ma vie ; alors en même temps qu’on dira : « Cette vieille brute de Boccaferri est devenu marquis et quatre fois millionnaire, » on pourra dire aussi : « Après tout, ce n’était pas un malhonnête homme ; car il n’a fait banqueroute à personne, pas même à ses amis. »

« J’avoue que je n’avais jamais perdu l’espoir de recouvrer ma liberté et mon honneur en m’acquittant de la sorte. Je ne comptais pas sur l’héritage de mon frère. Il me haïssait tant que j’aurais juré qu’il avait trouvé un moyen de me dépouiller après sa mort ; mais moi, toujours artiste et toujours poète, je n’avais pas cessé de me flatter que le succès couronnerait enfin mes entreprises. Aussi je n’avais jamais fait une dette ni une banqueroute sans en consigner le chiffre et sans en conserver le détail et les circonstances. Dans les dernières années, comme j’étais de plus en plus malheureux, je buvais davantage et j’aurais bien pu perdre ou embrouiller toutes ces notes, si ma fille ne les eût rangées et tenues avec soin.

« Aussi maintenant sommes-nous à même de nous réhabiliter. Nous consacrons à ce travail, ma fille et moi, une heure tous les jours, avant le déjeuner. Tandis que notre avocat de Briançon vend une partie de nos immeubles et prépare la liquidation générale, nous tenons la correspondance au nom de Boccaferri, et, dans toutes les contrées où nous avons vécu, nous cherchons nos créanciers. Il y en a peu qui ne répondent à notre appel. Ceux